D'après ma mère, au temps du colonialisme français ...

Mon enfance

Je suis issu d'une famille de lettrés. Mon grand-père paternel était chef de canton dans la province de Dau Dua (Ben Tre). Mon grand-père maternel était chef d'un village, riche en arbres fruitiers : longaniers, pruniers (man), bananiers, cocotiers, orangers, mandariniers etc.
Né le 22 janvier 1935 à My Tho en l'an lunaire Giap Tuat (année du chien), de parents en désaccord. Ils se rendaient alors au tribunal pour divorcer. Mon père y allait en pousse-pousse, ma mère, me prenant dans ses bras, s'y rendait à pied.
Après le divorce, ma mère tenait un petit commerce pour m'élever. Je me considérais dès lors comme orphelin de père. Cinq ans plus tard, ma mère refaisait sa vie et avait mis au monde trois autres enfants.
Pendant la guerre entre japonais et français puis entre français et vietnamiens (1944-1945), j'aidais mon beau père en pêchant la nuit. Il arrivait que les garde-côtes tiraient sur nous. La journée, je gardais mes petits frères et soeurs (un frère et deux soeurs). Ainsi, je ne pouvais pas aller à l'école.
Quand la mer était agitée, j'allais travailler chez les gens à secouer les tamariniers pour en ramasser les fruits, ou pêcher en rivière pour aider mes parents à élever mes frères et soeurs.
Avec la guerre, la vie devenait de plus en plus difficile. Ma mère tomba gravement malade, atteinte de la tuberculose. A la saison de la marée haute, elle se donna la mort en se jetant dans le fleuve (embouchure du Mékong), le 20 du neuvième mois lunaire 1947. A son enterrement, il n'y avait que son cercueil et mon bandeau de deuil autour de la tête.

Mon adolescence

A douze ans, alors orphelin, ma tante (grande soeur de ma mère), me prenait dans le maquis (Vinh Kiem) pour travailler la nuit. La journée, nous nous cachions dans une pagode. C'est à ce moment que j'ai appris à dire des prières bouddhistes, mon oncle y étant le Grand Bonze.
Au bout de six mois, mon oncle, jeune frère de ma mère, et sa femme m'emmenaient à Saïgon pour travailler comme garçon de café, tôt le matin jusqu'à tard le soir. En dehors de ce travail, je gardais les enfants de mon oncle. A la fermeture de son café, mon oncle m'a mis en apprentissage dans la soudure puis j'ai travaillé comme manoeuvre (littéralement homme de peine) dans une pharmacie. En 1950, la femme de mon oncle me mit à la porte car j'avais découvert qu'elle s'adonnait à des jeux d'argent à l'insu de mon oncle.
Une famille catholique me recueillit alors. J'allais travailler à pied à 12km et mangeais le midi sur le trottoir (repas populaire). Je dormais sur un lit pliant en toile sous une moustiquaire et je n'avais pas de couverture. Avec ma paie de 500 dong (piastres) par mois, je m'inscrivais aux cours du soir, payais ma nourriture et m'entraînais au Vovinam.
En 1952, je me mariais avec la fille unique d'une famille bouddhiste. Je continuais à suivre les cours du soir, à m'entraîner au Vovinam pour me défendre et à réciter des prières deux fois par jour, tout en travaillant.
En 1953, mon premier fils était né. Je changeais de travail pour devenir soudeur sur le chantier de construction du pont en "Y" vers Cholon.
En 1956, devenu syndicaliste, je travaillais pour la C.I.S.C. (Confédération Internationale des Syndicats Chrétiens). Avec une allocation de 900 piastres par mois, j'ai ainsi pu continuer mes études grâce à cette organisation.
La situation de la famille demeurant difficile, j'obéissais à mon Maître en combattant durant les compétitions. Lors de chaque championnat, on pouvait gagner entre 2000 et 3000 piastres. Parfois, on pouvait gagner entre 1200 à 1800 piastres par victoire et entre 800 et 1200 piastres en cas de défaite.

Armée et Tae Kwon Do

En 1965, la guerre faisait rage. Je devais m'engager à l'armée dans le Génie de Combat). Grâce à mes neuf ans d'expérience à la C.I.S.C., j'ai pu rester au secrétariat du bureau du personnel.

Maître NGUYEN Van Lanh

En 1967, le Général de mon corps d'arme m'a désigné pour intégrer la promotion spéciale formant les instructeurs militaires de Tae Kwon Do, au sein de la première école créée au Vietnam à Thu Duc. Le programme comportait six heures d'entraînement quotidien, sous le régime de l'internat. J'obtins la ceinture noire I Dan l'année suivante et ramenai la même année le titre de Champion National.

Je revins alors travailler dans mon unité, en tant qu'assistant du Maître coréen tout en continuant de m'entraîner au Dojang de la Présidence de la République au 120 rue Hong Thap Tu. Ainsi tous les ans entre 1967 et 1970, j'étais sélectionné pour disputer le Championnat National au cours duquel j'arrivais toujours en finale.

Dans le même temps, après ma ceinture noire, j'ouvrais en 1967 un Club de Tae Kwon Do dans deux salles, comptant 500 élèves pour la première (destinée aux civils) et 200 élèves pour le second dojang qui se trouvait dans la caserne Tran Van Quynh, rue Tran Quoc Toan.

Thao Duong Gia Dinh

En 1971, j'obtenais mon III Dan et devenais Directeur de mon école de Tae Kwon Do. Dans le même temps, je travaillais comme garde du corps du Général et de Monsieur DO Van Ly, ambassadeur du Japon.
La République du Vietnam étant abolie le 30 avril 1975, le gouvernement communiste se mettait en place. Je terminais ainsi ma carrière de militaire en 1975, au grade de Ha Si Nhut (Caporal).

Ma reconversion

De 1975 à 1980, je faisais mon travail de reconversion : creuser un canal près de Thu Duc, conducteur de tricycle, travail à l'usine Thuy Loi etc.

La France

Le 27 janvier 1984, j'arrivais en France selon le programme du regroupement des familles.
Le 25 mars 1984, j'ouvrais ma salle de Tae Kwon Do à Limoges Beaubreuil grâce à l'aide de l'Amicale des Vietnamiens du Limousin - le Colonel D'HUMIERES et Madame FORESTIER en étaient des membres très actifs. J'avais alors environ une dizaine d'élèves, la plupart étaient des vietnamiens et des cambodgiens, enfants sans famille ici en France et aidés par cette même association.
Le 13 janvier 1986, le nombre d'élèves augmentait, le Club se légalisait et était déclaré à la Préfecture de la Haute Vienne avec parution au Journal Officiel. Il acquit ainsi une certaine notoriété à Limoges, du fait de la pratique sérieuse du Club et de la philosophie de travail ensemble.

Bilan

Cette année, j'ai 63 ans. J'ai participé pendant plus de cinquante ans à des actions humanitaires (aide matérielle et psychologique aux personnes en difficulté financière, malades, isolées).
Mon caractère : raisonnable et droit, ne reculant pas devant les difficultés et les obstacles, patient et modeste.
Ma famille est composée de deux épouses, huit enfants - cinq garçons et trois filles, huit petits enfants, 2 arrières petits enfants, actuellement tous en bonne santé et ayant une vie stable.
En résumé, né en période de guerre, un pays partagé, de parents divorcés, élevé dans une famille en difficulté, confiant et fort de caractère, respectueux de la discipline, faisant valoir la morale, améliorant ma technique des arts martiaux, améliorant ma propre culture, j'ai obtenu jusqu'à ce jour une maison, de quoi manger, de quoi m'habiller, en vivant dans une famille heureuse, respectueux envers les uns et les autres.
Pour le restant de ma vie, je fais le voeu de participer à la construction de la société, aider les personnes en difficulté et les personnes isolées.

Fait à Limoges, le 6 mars 1998.

NGUYEN Van Lanh

(traduit du vietnamien par Madame NGUYEN Thi Yen Marie-Jeanne)